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jeudi 29 octobre 2020

Mélody écrit... La belle et l'idiot

Thème : Chalon-Sur Saône - Du sang dans les livres
Interprété par : Melody ROCK

 La belle et l’idiot

Yvette aurait été centenaire aujourd’hui ; connue de tous, elle était un peu la mascotte du quartier. On ne parle que de ça aux terrasses des cafés et sur la place du marché face à la cathédrale Saint-Vincent de Chalon-sur-Saône. La ville est en deuil.

Le garde forestier a trébuché sur ce qu’il reste de l’aïeule, sans doute a-t-elle été déchiquetée par un animal sauvage après s’être emmêlé les pieds dans des filets de capture. Les chalonnais organisent une battue, traqueurs et rabatteurs se dirigent vers la forêt d’où ils ne débusqueront pas la bête. Les gentilés de la région oublient leur balade dominicale. Mais qui a posé ces filets ? Evidemment tous nient en bloc.

Entre-temps le rapport d’autopsie tombe et oh, surprise, point de prédateur il y a, Yvette n’a pas été la proie des crocs d’une grosse bestiole mais d’une mâchoire d’acier.

Monsieur le Maire, homme de terrain avant tout, entreprend de petites visites chez ses collègues chasseurs, s’assurant amicalement qu’ils ne soient pas détenteurs de l’arme du crime. C’est bien entendu à la justice que revient l’enquête, mais en vieux renard qu’il est, Monsieur le Maire, Léon de son prénom, a le nez fin et débusquera le coupable s’il s’agit d’un Chalonnais. Il commence sa tournée en se rendant chez son ami de longue date, Dominique, bien que persuadé de son innocence ; dans le cas contraire, la mauvaise surprise serait de taille. Dominique est son adjoint en mairie, la soixantaine, un ancien militaire à la stature imposante, ses cheveux blonds grisonnant en bataille lui donnant un air de viking. Les deux hommes se serrent la poigne, la discussion s’engage autour d’un verre :

-   Es-tu allé chez Robert, tu sais, l’idiot du village ; il ne m’a jamais inspiré celui-là. Et puis, sa pauvre femme, belle comme elle est, elle reste cloîtrée chez elle, on ne la voit jamais. Il paraitrait qu’elle s’occupe de ses deux rejetons qui ne vont pas même à l’école. On dit qu’elle avait déjà le ventre bien rond quand il l’a épousée.

-   C’est un bon bougre, lui répond Léon, il travaille le matin pour la commune. C’est vrai, il n’a pas inventé le fil à couper le beurre mais il n’est pas bien méchant. Toutefois, je le verrai demain matin quand il viendra récupérer ses pelles et ses pioches.

Le visage de Dominique se durcit avant qu’il n’insiste :

-  Je ne l’ai jamais vraiment senti, avec ses petits yeux rapprochés, on ne sait jamais quand il nous regarde réellement. Ma petite fille en a peur, quand elle le croise, elle fuit, les enfants ressentent ces choses-là. Oui, ça vaut le coup de le faire parler.

Les deux amis se saluent, Monsieur le Maire interloqué par l’insistance de Dominique reprend sa virée. Il entreprend la même démarche avec Pierre, Paul et Jacques et ne remarque rien d’anormal. Les trois compères, quant à eux n’émettent aucun doute sur l’innocence du cantonnier. Sur le retour, Monsieur le Maire s’interroge quant à l’obstination de son ami, pourquoi se focalise-t-il autant sur le bonhomme, espère-t-il lui faire porter le chapeau, et pourquoi ?

Il veut en avoir le cœur net et dès le lendemain, à la première heure, il patiente devant l’établi guettant Robert avant qu’il ne prenne son service.

-  Oh, Monsieur le Maire, bonjour, mais qu’est-ce qui vous amène de si bon     matin ?

-  Je passe un peu saluer tout le monde depuis le drame, je m’informe sur les activités de chacun, si vous avez un petit moment à m’accorder nous pourrions discuter un bout.

Ravi de l’intérêt que lui accorde Monsieur le Maire, Robert l’invite à prendre l’apéro le soir même, lui proposant de lui présenter sa collection historique d’armes de chasse. Ses petits yeux ne l’effraient nullement, Monsieur le Maire lui trouvant plutôt un air bien sympathique ; la nature ne l’a pas gâté, c’est tout. Il ne comprend pas les propos de Dominique, c’est bien la première fois que quelqu’un médit de son employé. Le soir venu, il répond bien sûr à l’invitation de Robert et toque à la porte que lui ouvre Madame.

-     Bonjour Madame Dupuis, bafouille-t-il, troublé par son regard azur.

-     Mon mari vous attend, venez, je vous conduis.

Sur ce dernier point, Dominique n’avait pas tort, Madame Dupuis est une très belle femme, voire un peu mystérieuse ; c’est la première fois qu’il la croise. Il se remémore alors le bavardage avec son ami, et tout à coup le doute s’installe, pourquoi ne sort-elle jamais, Robert le lui interdit-il de se promener seule, aurait-il peur qu’elle ne s’échappe ou qu’elle ne révèle le pot-aux-roses ?

Ils se serrent une poignée de mains, et Robert enquille fièrement :

-  Ma passion ! Ces petits instruments servaient à nos pères à fabriquer les cartouches, et voici d’anciens appeaux pour attirer les volailles. J’ai récupéré ces filets de mon grand-père, ils sont bien fatigués, mais je les garde, affaire de sentiment. Attendez, le grand vert n’est pas à sa place, je voulais justement vous le montrer, le seul en bon état.

Marie ! hurle-t-il à son épouse.

-     Oui, deux minutes.

-     Où est le grand filet, personne n’est venu ici ?

-  Non, personne ne vient jamais, lui répond-t-elle, comme blasée. Venez donc vous rafraichir, Monsieur le Maire a certainement mieux à faire que de reluquer tes vieilleries.

Sur le retour, Monsieur le Maire s’interroge quant à la disparition des filets et pense, à regret, que Dominique pourrait bien avoir raison ; l’idiot pourrait être plus malin qu’il ne le parait. Honteux de sa mauvaise pensée envers cet homme un peu simple, il lui demande toutefois dès le lendemain de revoir ses trésors. Robert accepte avec plaisir, et l’attend en fin d’après-midi, après la sieste.

Cette fois, Madame le reçoit avec un grand sourire et lui présente Angel et Maurice. Les deux petits blondinets à peine âgés d’une dizaine d’années se ressemblent comme deux gouttes d’eau, mais n’ont rien, ni de leur père, ni de leur mère. Robert est un petit rouquin trapu et Madame une brune à la peau blanche. Il la regarde faire ses mimiques, n’osant lui poser de question, avant qu’elle ne lui annonce :

-   Ils sont sourds et muets de naissance, j’ai appris le langage des signes et je leur fais la classe.

Monsieur le Maire baisse les yeux, tant intimidé par la splendeur douloureuse de Madame qu’ému par ses deux petits, quand Robert intervient tout excité :

-  Je suis content de vous revoir. L’autre soir, je n’ai pas eu le temps d’ouvrir l’armoire où je range des outils qui pourraient être dangereux pour les enfants. Regardez, un sécateur de vigneron, il est d’époque. Et celles-là, c’est interdit aujourd’hui, des dentitions d’acier pour capturer les renards. Je vais les étiqueter avec leur âge, car un jour on oubliera.

Monsieur le Maire lui demande s’il peut les photographier, ce qui flatte l’homme un peu fruste, et bien sûr, il y consent.

Se dirigeant sans délai vers la gendarmerie, Monsieur le Maire s’en veut d’avoir été si naïf, les enfants et Madame, dont le charme ne lui est pas indifférent, pourraient subir le sort d’Yvette.

Quelques heures plus tard, les gendarmes ayant visionné les photos, se rendent au domicile de Robert.

-    Madame Dupuis ? Votre époux est-il là ?

-    Bonjour, oui, mais que se passe-t-il ?

-   Emmenez les enfants dans leur chambre, il n’est pas nécessaire qu’ils assistent à l’arrestation de leur père, nous l’emmenons en garde à vue.

Un instant, elle reste figée, le visage fermé avant de reprendre :

-     Mais qu’a-t-il donc fait ?

Angel et Maurice n’ont pas bougé, ils continuent d’étudier, quand l’un des gendarmes s’adresse à Angel lui demandant ce qu’il lit.

-     Ils sont sourd et muets, intervient Madame avec froideur.

Le gendarme se penche alors vers l’enfant, lui tapotant l’épaule pour le rassurer, chipant gentiment son livre pour en découvrir le titre, mais de titre, il n’y en a pas. Souriant au petit qui le regarde sans comprendre, il feuillète quelques pages, en fait de même avec le livre de son frère, et tombe à la renverse s’écriant :

-     Du sang dans les livres !

Les deux bouquins racontent la même histoire, celle de l’épouvantable fin d’Yvette, où chacun tient son rôle.

Madame tente bien de détourner son attention de ces écrits, mais l’homme en uniforme appelle à la rescousse ses collègues qui rappliquent accompagnés de Monsieur le Maire.

Robert ne comprend rien, grommèle comme un bon diable face à la scène qui lui échappe, tandis que l’officier diffuse à haute voix le texte d’apprentissage des enfants.

« Au départ, choisissez une proie malade ou vieillissante, une prise facile. Elle sera moins tendre à l’arrachage et peut-être son sang plus épais, mais ce sera un bon débutLaissez-là s’agiter un peu avant de la tuer, c’est le meilleur moment…..Bravo, je suis fière de vous ».


Il avait raison Monsieur le Maire de faire confiance à Robert, quant à Madame, si belle soit elle…

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