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PETITE GRENOUILLE - EXTRAIT


Chapitre 7 - PIERRE


Pierre est assis sur un banc dans un long couloir, il regarde ses chaussures tout en tordant ses doigts. Nous sommes en 1957, il a 12 ans. Il attend le verdict. Il est honteux et en colère contre lui-même, comment a-t-il pu se faire pincer ? Quel imbécile !

Pourtant il avait tout pensé, il avait choisi une rue de Nice la plus éloignée de celle où ses parents ont la boutique. Il avait observé et n’avait jamais vu la brigade volante à cet endroit. Il avait choisi un moment de la journée où personne ne circule, étudié les allers-retours des habitants, relevé quelques noms. Ce jour-là, la concierge devait passer la journée en visite dans sa famille à Sospel. Il sait qu’il a de longues jambes et qu’il peut courir vite, très vite. Mais voilà il avait joué de malchance.

Il entra dans l’immeuble en même temps que le facteur. Il portait un paquet et prétendit livrer des photos à M. CONSTANCE :
« Vous savez le Monsieur du 3ème, il a du mal à se déplacer avec sa canne. »
Le préposé laisse donc le garçon grimper quatre à quatre les escaliers, il remplit les boites aux lettres tout en tendant l’oreille, la sonnette retentit, la porte s’ouvre. Le facteur s’en va, rassuré.
« Bonjour Monsieur,
- Bonjour petit, que me veux-tu ?
- Je viens vous livrer un paquet. Vous êtes bien Monsieur CONSTANCE ?
- Tu fais erreur, Monsieur CONSTANCE est mon voisin et il est absent. Je peux prendre le paquet.
- Euh ! Pierre réfléchit… non merci il nous a expressément demandé de le lui remettre en main propre… et si mon père apprend que je l’ai remis à une autre personne même s’il est son voisin et … ami, je me prendrai une taloche. »

Avant même que le monsieur est réagi, Pierre crie un au-revoir et détale dans les escaliers. Il ouvre la lourde porte de l’immeuble et la laisse se refermer bruyamment en attendant que le monsieur du 3ème ferme la sienne.

Et c’est là que tout se complique, Pierre sait que les mandats sont délivrés ce jour-là et il entreprend de vider les boites aux lettres en silence. Mais voilà dans la loge, la concierge a failli tomber du lit en entendant la lourde porte d’entrée. Elle s’est levée malgré la fièvre, a enfilé son peignoir et ses chaussons et s’est trainée jusqu’à la porte de sa loge. Même malade si elle est présente, elle doit assurer sa surveillance. Courageusement, elle tend l’oreille et entend une souris qui gratte du côté des boites aux lettres. Elle glisse sa tête dans l’embrasure et observe un jeune garçon avec un crochet en métal qui essaye tant bien que mal de récupérer le contenu. Elle sait qu’elle ne pourra pas lui courir après dans son état, elle pourrait se mettre à crier pour ameuter l’immeuble mais ils sont tous trop vieux pour réagir rapidement et à bien y réfléchir il pourrait l’empêcher de partir la prochaine fois de peur que cela ne se reproduise. Elle va donc essayer de le faire fuir en se grattant la gorge puis en lui adressant un

« Bonjour, je peux t’aider ? »

L’enfant sursaute et réagit immédiatement en se tournant vers la sortie et c’est là que Monsieur CONSTANCE a décidé de rentrer chez lui plus tôt que prévu. Coincé, le gamin se retrouve enfermé dans la loge sous la surveillance de Monsieur CONSTANCE tandis que la concierge va prévenir la police.

La prochaine fois, Pierre fera une ronde le matin afin de s’assurer que tous les protagonistes seront bien absents.

Une porte s’ouvre, Paulette et Abélard sortent du bureau. Abélard tourne les talons tout en sortant du commissariat sans un regard. Paulette raide comme la justice, coincée dans son tailleur avec son petit chapeau ridicule vissé sur la tête, s’approche de lui, le gifle et lui annonce la sentence d'une voix étranglée :

« Tu vas en maison de correction ! Immédiatement ! Tu es la honte de la famille ! » 

Elle tourne les talons pour suivre son mari. Pierre la regarde tout en se demandant s’il doit lui emboiter le pas mais un policier l’attrape par le col et l’entraine dans la direction opposée.
Paulette attend d’être enfin chez elle pour s’effondrer en larmes dans un fauteuil tout en subissant les foudres de son mari.

« Tu as trop gâté cet enfant à toujours vouloir le protéger ! Et voilà le résultat ! Si cela arrive aux oreilles de nos clients, on met la clé sous la porte ! Et je t’interdits d’aller le voir là-bas ! »

Pourtant elle a essayé de lui donner une bonne éducation et des valeurs. Il a été enfant de chœur et elle espérait qu’il soit prêtre, à la fois en sacrifice à Dieu pour toutes les épreuves et tous les pêchers de cette maudite famille, mais aussi pour qu’il échappe au destin douloureux des gens qui s’aiment puis se haïssent et se séparent.

3 mois plus tard, Abélard va chercher son fils et le ramène à la maison en espérant que cette mésaventure lui serve de leçon.

Pour se faire pardonner de sa maman chérie, Pierre lui offre un vinyle. Sur la pochette, elle voit son fils et l’intitulé « Pierre chante LUIS MARIANO – Le chanteur de Mexico ». Fébrile, elle pose le disque sur la platine, fait glisser le bras et pose délicatement le saphir sur les premiers microsillons. Les crachouillis habituels se font entendre puis une voix de fausset envahit le silence du salon-salle à manger.
« On a chanté les Parisiennes
Leurs petits nez et leurs chapeaux
On a chanté les Madrilènes
Qui vont aux arènes
…. »
Paulette assise dans l’un des 2 fauteuils de la pièce, écoute, des larmes se mettent à couler sur ses joues.
Pierre, triomphant, a gagné sa rédemption.
...

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